mardi 17 mars 2009

Somnambule


Par un oiseau de nuit.Source pochoir : Joshuasbones / DeviantART

mardi 10 mars 2009

Vélorution

Paroles de détenus

"L'homme est un animal qui s'habitue à tout. Cette définition trouve une vérification étonnante dans la vie de prison. Les détails les plus pénibles, dont l'idée seule eût paru intolérable dans la vie normale, deviennent rapidement naturels. On ne les aperçoit plus. C'est au contraire leur absence qui maintenant surprendrait. On arrive à comprendre les récits les plus invraisemblables de l'histoire, comment certains captifs ont vécu des années rivés à une chaîne, au fond d'un souterrain. C'est la monotonie de cette existence absurde, la répétition des mêmes gestes mécaniques, qui vous endort peu à peu et vous anesthésie littéralement ; au point que tout ce qui rompt brusquement vos nouvelles habitudes vous jette dans le trouble, remet tout en cause. Par exemple, après la venue d'un visiteur, une longue conversation sur les choses du dehors, lorque, la porte refermée, on se retrouve seul, il faut faire un effort de réadaptation, réapprendre son sort. C'est quelquefois pénible. Alors d'où vient ma révolte nocturne, après onze mois d'épreuve ? De ce que le sommeil a libéré l'esprit, de ce que j'ai rêvé. Car le corps seul s'habitue, se soumet. L'esprit jamais. Ou, du moins, il lui faut beaucoup plus de temps, et c'est une difficile victoire à remporter. Je crains de n'y être pas encore parvenu."

Jean Zay, Souvenirs et solitudes, Paroles de détenus.

Mémoires des Luttes



Skalpel / La K-Bine

Souriez, c'est partagé.


source pochoir : Zone d'Ombres

lundi 9 mars 2009

L'entreprise : un jeu de dupes à confort variable.

Source image : they lie we die

Troisième cercle (extrait)
« La vie, la santé, l’amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ? »


"Il n’y a pas de question plus embrouillée, en France, que celle du travail. Il n’y a pas de rapport plus tordu que celui des Français au travail. Allez en Andalousie, en Algérie, à Naples. On y méprise le travail, au fond. Allez en Allemagne, aux États-Unis, au Japon. On y révère le travail. Les choses changent, c’est vrai. Il y a bien des otaku au Japon, des frohe Arbeitslose en Allemagne et des work-aholics en Andalousie. Mais ce ne sont pour l’heure que des curiosités. En France, on fait des pieds et des mains pour grimper dans la hiérarchie, mais on se flatte en privé de n’en ficher pas une. On reste jusqu’à dix heures du soir au boulot quand on est débordé, mais on n’a jamais eu de scrupule à voler de-ci de-là du matériel de bureau, ou à ponctionner dans les stocks de la boîte des pièces détachées qu’à l’occasion on revend. On déteste les patrons, mais on veut à tout prix être employé. Avoir un travail est un honneur, et travailler une marque de servilité. Bref : le parfait tableau clinique de l’hystérie. On aime en détestant, on déteste en aimant. Et chacun sait quelle stupeur et quel désarroi frappe l’hystérique lorsqu’il perd sa victime, son maître. Le plus souvent, il ne s’en remet pas.
Dans ce pays foncièrement politique qu’est la France, le pouvoir industriel a toujours été soumis au pouvoir étatique. L’activité économique n’a jamais cessé d’être soupçonneusement encadrée par une administration tatillonne. Les grands patrons qui ne sont pas issus de la noblesse d’État façon Polytechnique-ENA sont les parias du monde des affaires où l’on admet, en coulisse, qu’ils font un peu pitié. Bernard Tapie est leur héros tragique: adulé un jour, en taule le lendemain, intouchable toujours. Qu’il évolue maintenant sur scène n’a rien d’étonnant. En le contemplant comme on contemple un monstre, le public français le tient à bonne distance et, par le spectacle d’une si fascinante infamie, se préserve de son contact. Malgré le grand bluff des années 1980, le culte de l’entreprise n’a jamais pris en France. Quiconque écrit un livre pour la vilipender s’assure un best-seller. Les managers, leurs mœurs et leur littérature ont beau parader en public, il reste autour d’eux un cordon sanitaire de ricanement, un océan de mépris, une mer de sarcasmes. L’entrepreneur ne fait pas partie de la famille. À tout prendre, dans la hiérarchie de la détestation, on lui préfère le flic. Être fonctionnaire reste, contre vents et marées, contre golden boys et privatisations, la définition entendue du bon travail. On peut envier la richesse de ceux qui ne le sont pas, on n’envie pas leur poste.
C’est sur le fond de cette névrose que les gouvernements successifs peuvent encore déclarer la guerre au chômage, et prétendre livrer la « bataille de l’emploi » tandis que d’ex-cadres campent avec leurs portables dans les tentes de Médecins du monde sur les bords de la Seine. Quand les radiations massives de l’ANPE peinent à faire descendre le nombre des chômeurs au-dessous de deux millions malgré tous les trucages statistiques. Quand le RMI et le biz garantissent seuls, de l’avis même des renseignements généraux, contre une explosion sociale à tout moment possible. C’est l’économie psychique des Français autant que la stabilité politique du pays qui se joue dans le maintien de la fiction travailliste.

Qu’on nous permette de nous en foutre.

Nous appartenons à une génération qui vit très bien sans cette fiction. Qui n’a jamais compté sur la retraite ni sur le droit du travail, encore moins sur le droit au travail. Qui n’est même pas « précaire » comme se plaisent à le théoriser les fractions les plus avancées de la militance gauchiste, parce qu’être précaire c’est encore se définir par rapport à la sphère du travail, en l’espèce : à sa décomposition. Nous admettons la nécessité de trouver de l’argent, qu’importent les moyens, parce qu’il est présentement impossible de s’en passer, non la nécessité de travailler. D’ailleurs, nous ne travaillons plus : nous taffons. L’entreprise n’est pas un lieu où nous existons, c’est un lieu que nous traversons. Nous ne sommes pas cyniques, nous sommes juste réticents à nous faire abuser. Les discours sur la motivation, la qualité, l’investissement personnel glissent sur nous pour le plus grand désarroi de tous les gestionnaires en ressources humaines. On dit que nous sommes déçus de l’entreprise, que celle-ci n’a pas honoré la loyauté de nos parents, les a licenciés trop lestement. On ment. Pour être déçu, il faut avoir espéré un jour. Et nous n’avons jamais rien espéré d’elle : nous la voyons pour ce qu’elle est et n’a jamais cessé d’être, un jeu de dupes à confort variable. Nous regrettons seulement pour nos parents qu’ils soient tombés dans le panneau, ceux du moins qui y ont cru (...)"

Comité invisible.


La police vous parle


Tous les soirs à 20h.

Mohamed Ali