mardi 10 mars 2009

Paroles de détenus

"L'homme est un animal qui s'habitue à tout. Cette définition trouve une vérification étonnante dans la vie de prison. Les détails les plus pénibles, dont l'idée seule eût paru intolérable dans la vie normale, deviennent rapidement naturels. On ne les aperçoit plus. C'est au contraire leur absence qui maintenant surprendrait. On arrive à comprendre les récits les plus invraisemblables de l'histoire, comment certains captifs ont vécu des années rivés à une chaîne, au fond d'un souterrain. C'est la monotonie de cette existence absurde, la répétition des mêmes gestes mécaniques, qui vous endort peu à peu et vous anesthésie littéralement ; au point que tout ce qui rompt brusquement vos nouvelles habitudes vous jette dans le trouble, remet tout en cause. Par exemple, après la venue d'un visiteur, une longue conversation sur les choses du dehors, lorque, la porte refermée, on se retrouve seul, il faut faire un effort de réadaptation, réapprendre son sort. C'est quelquefois pénible. Alors d'où vient ma révolte nocturne, après onze mois d'épreuve ? De ce que le sommeil a libéré l'esprit, de ce que j'ai rêvé. Car le corps seul s'habitue, se soumet. L'esprit jamais. Ou, du moins, il lui faut beaucoup plus de temps, et c'est une difficile victoire à remporter. Je crains de n'y être pas encore parvenu."

Jean Zay, Souvenirs et solitudes, Paroles de détenus.

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